La Première Guerre mondiale

La Bataille de la Somme (1916)

La Bataille de la Somme en 1916. Source : Wikimedia Commons

Attention : la chronologie présentée ici n'a pas la prétention de relater de manière exhaustive « la » Première Guerre mondiale. Elle se concentre sur les principaux événements nationaux et internationaux en lien avec l'histoire suisse.

1914

L'Europe connaît une période économique euphorique. Les États s'enrichissent et rêvent d'étendre leur influence. Des alliances se forment et se militarisent. Des rivalités apparaissent.

D'un côté, la France s'allie à la Grande-Bretagne et à la Russie. C'est le bloc dit des « Alliés » ou « Triple-Entente ». De l'autre côté, l'Empire allemand et l'Empire austro-hongrois – ce dernier comprend une partie des Balkans - forme le bloc dit des « Empires centraux » ou « Triple-Alliance ».

Les tensions montent. Une étincelle et tout pourrait exploser.

28 juin 1914

L'étincelle se produit à Sarajevo. L'archiduc François Ferdinand de Habsbourg et son épouse, en visite dans la capitale de la province autrichienne de Bosnie, sont abattus en pleine rue par un nationaliste serbe.

La mécanique implacable des alliances se met en marche.

Carte des alliances militaires en Europe (1914)

Carte des alliances militaires en Europe en 1914. Source : Historicair / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

28 juillet 1914

L'Autriche déclare la guerre à la Serbie. Dans un télégramme, le gouvernement austro-hongrois s'adresse en ces termes au gouvernement serbe :

« Le gouvernement royal de Serbie n'ayant pas répondu d'une manière satisfaisante à la note qui lui avait été remise par le ministre d'Autriche-Hongrie à Belgrade à la date du 23 juillet 1914, le gouvernement impérial et royal se trouve dans la nécessité de pourvoir lui-même à la sauvegarde de ses droits et intérêts et de recourir à cet effet à la force des armes. L'Autriche-Hongrie se considère donc de ce moment en état de guerre avec la Serbie. Le ministre des affaires étrangères d'Autriche-Hongrie Comte Berchtold »

29 juillet 1914

La Russie, par solidarité slave avec la Serbie, mobilise à son tour son armée contre l'Autriche.

30 juillet 1914

La Russie mobilise son armée contre l'Allemagne.

31 juillet 1914

L'Allemagne déclare la guerre à la Russie.

1 août 1914

Le jour de la fête nationale, la Suisse mobilise son armée. 220'000 hommes entrent en service les jours qui suivent.

Une solde de... 80 centimes par jour !

En 1914, le soldat mobilisé ne gagne que 80 centimes par jour. Il n'existe encore aucune APG, ou allocation pour perte de gain, pour compenser l'absence de revenus durant la mobilisation. La solde est minime mais le soldat est nourri et logé aux frais de l'armée. À la cantine militaire, il peut toutefois s'offrir... quelques petits plaisirs.

Un petit paquet de tabac : 5 centimes
Une petite chope de bière : 15 centimes
Un paquet de dix cigares : 25 centimes
Un litre de vin (du Tessin) : 45 centimes

3 août 1914

L'Allemagne déclare la guerre à la France.

En Suisse, l'Assemblée fédérale (Conseil national et Conseil des États) confère les pleins pouvoirs au Conseil fédéral, avec mandat de sauvegarder l'indépendance et la neutralité du pays.

Sur recommandation du Conseil fédéral, l'Assemblée fédérale élit un officier de carrière, né et formé en Allemagne, Ulrich Wille, au commandant suprême de l'armée. À l'âge de 66 ans, il devient le troisième « Général commandant en chef de l'armée suisse », un grade rare qui, en Suisse, existe uniquement en temps de guerre.

Le Général Ulrich Wille

Le Général Ulrich Wille. Source : Wikimedia Commons

Le nouveau Général de l'armée suisse ne cache pas sa fascination pour l'empire allemand. Son élection ne satisfait ni les Romands, ni les socialistes. Ils accusent Wille d'entretenir des liens amicaux et familiaux forts avec l'Allemagne ; lié par sa femme à la famille impériale allemande, le parrain de leur fils n'est autre que Guillaume II, troisième et dernier empereur allemand, neuvième et dernier roi de Prusse.

Avec pour mission de maintenir l'indépendance de la Suisse, Wille saura-t-il garantir la neutralité du pays ? Nombre de parlementaires en doutent et Wille deviendra le premier général de l'armée qui ne récoltera pas l'unanimité des voix du Parlement.

Les Alémaniques, majoritairement pro-Allemands, et les Romands, en majorité pro-Français, sont divisés. L'expression « Fossé moral » apparaît dans la presse romande. Elle désigne la rupture morale qui s'opère alors entre l'opinion publique alémanique et romande. Ce fossé ne cessera de se creuser dans les années qui vont suivre.

Wille le Romand

Le Général de l'armée suisse durant la Première Guerre mondiale, Ulrich Wille, aurait bien « baissé la culotte des Romands pour les fesser » pourtant... c'est bien de Romandie que sont originaires ses ancêtres ! Des « de Vuille » devenus « Wille ».

4 août 1914

L'Allemagne viole la neutralité de la Belgique et l'envahit.

Réfugiés belges en 1914

Des réfugiés fuient la Belgique suite à l'invasion allemande (1914). Source : Wikimedia Commons

La Grande-Bretagne, garante de l'État belge, entre en guerre contre l'Allemagne.

Dans toute l'Europe, c'est un choc. La Suisse, neutre, frémit et redoute, à son tour, une violation de sa neutralité. Le Conseil fédéral refuse pourtant de condamner la violation de la neutralité belge, précisément au nom de la neutralité (« neutralité d'opinion »). Le mécontentement est vif en Romandie.

Par télégramme, le Conseil fédéral adresse aux puissances en guerre sa « Déclaration de neutralité » :

« En raison de la guerre qui vient d'éclater entre plusieurs puissances européennes, la Confédération suisse, inspirée par ses traditions séculaires, a la ferme volonté de ne se départir en rien des principes de neutralité si chers au peuple suisse, qui correspondent si bien à ses aspirations, à son organisation intérieure, à sa situation vis-à-vis des autres États et que les puissances signataires des traités de 1815 ont formellement reconnue. (...) Le Conseil fédéral a la ferme conviction que la présente déclaration sera accueillie favorablement par les puissances belligérantes ainsi que par les États tiers signataires des traités de 1815 comme l'expression de l'attachement traditionnel du peuple suisse à l'idée de neutralité et comme l'affirmation loyale des conséquences résultant pour la Confédération suisse des traités de 1815. »

Cette Déclaration de neutralité interdit aux belligérants d'emprunter le territoire de la Confédération, de le survoler ou d'y recruter des hommes. Le Conseil fédéral l'accompagne d'une ordonnance qui interdit aux industriels et aux commerçants d'exporter des armes, des munitions ou tout autre matériel de guerre dans les états voisins engagés dans le conflit.

5 août 1914

Le Conseil fédéral s'adresse au peuple :

« Fidèles et chers Confédérés. La guerre est déchaînée à nos frontières. Notre armée est sur pied et, le 1er août, jour anniversaire de la fondation de la Confédération, le télégraphe a porté l'ordre de la mobilisation jusque dans les village et les hameaux les plus reculés du pays. Fidèles à nos traditions, fermement attachés à la ligne de conduite que la libre décision de notre peuple a choisie et nous conformant aux traités internationaux, nous observerons une complète neutralité. »

L'armée suisse durant la Première guerre mondiale

Soldats d'infanterie suisses, entre 1914 et 1918. Source : Wikimedia Commons

8 août 1914

Paris déclare que la France « ne manquera pas d'observer scrupuleusement » les dispositions des traités concernant la neutralité de la Confédération. Une réponse plus protocolaire que chaleureuse, contrairement à celle de Berlin, qui arrivera le 18 août.

11 août 1914

En Suisse, le général Wille concentre ses troupes dans le Jura en raison des combats franco-allemands à la frontière avec l'Alsace.

18 août 1914

Berlin répond à Berne : « L'Empire allemand respectera scrupuleusement la neutralité de la Suisse. Les rapports de confiance sincère qui ont existé de tout temps entre les deux pays voisins sont une garantie que, pendant la guerre aussi, ils continueront d'être ce qu'ils ont toujours été. »

23 août 1914

Le Japon, allié de l'Angleterre, entre dans le conflit en déclarant la guerre à l'Allemagne. La guerre devient mondiale.

Le procès de Sarajevo en octobre 1914

Le procès de Sarajevo en octobre 1914. Gavrilo Princip comparaît devant ses juges suite à l'assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d'Autriche. Source : Wikimedia Commons

29 novembre 1914

L'Empire ottoman entre en guerre aux côtés de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Italie.

14 décembre 1914

En Suisse, le poète alémanique Carl Spitteler lance un appel à l'unité entre Romands et Alémaniques en faveur d'une Suisse neutre. Son intervention, publiée dans les trois langues, fait sensation. Il n'hésite pas y condamner la violation de la neutralité belge par l'Allemagne, déchaînant la colère des nationalistes allemands qui biffent son nom des manuels d'histoire littéraire.

1915

Dès 1915, le blocus mutuel que se livre les puissances en guerre mène la vie dure au peuple Suisse. La Confédération, sans accès direct à la mer, est totalement dépendante de ses voisins. En dépit de sa neutralité, la Suisse est donc forcée d'accepter de soumettre son commerce extérieur au contrôle des camps rivaux. Deux organismes de surveillance, rattachés à chacune des deux alliances, sont mis en place. Ils se surveillent mutuellement et contrôlent surtout les activités économiques et le commerce extérieur de la Suisse.

Mai 1915

En Suisse, le général Wille concentre des troupes sur la frontière sud suite à l'entrée en guerre de l'Italie.

Une flotte marchande suisse ?

Dès 1915, l'approvisionnement de la Suisse devient compliqué. Les puissances en guerre s'imposent un blocus mutuel qui étrangle la Suisse, totalement dépendante de ses voisins en raison de l'absence d'accès direct à la mer et de ses besoins en blé notamment. La Confédération envisage même de créer une flotte marchande suisse pour assurer son indépendance économique ! Le pavillon neutre pourrait, pense-t-on alors, faciliter le transport maritime. Mais ce projet restera sans lendemain.

Janvier 1916

En Suisse, le « scandale des colonels » éclate lorsque est rendue publique la divulgation d'informations confidentielles par deux colonels de l'armée suisse, Karl Egli et Friedrich Moritz von Watenwyl. Depuis le début du conflit, ces derniers auraient transmis aux Allemands et aux Autrichiens des documents stratégiques sur les Alliés.

Le général Wille tente d'étouffer l'affaire en mutant les officiers mais l'affaire est dénoncée par la presse romande. Les colonels sont jugés. Ils plaident coupables mais le tribunal ne retient pas l'accusation de trahison. Les hommes sont condamnés à une peine disciplinaire... de vingt jours d'arrêt de rigueur.

La Romandie fulmine et descend de la rue. À Lausanne, Marcel Hunziker arrache le drapeau du consulat d'Allemagne tandis que des Suisses-allemands sont molestés.

Berlin adresse à Berne une note diplomatique de vive protestation.

1917

En Suisse, les matières premières manquent, le ravitaillement n'est plus assuré. Tandis que le coût de la vie s'envole, les grèves se multiplient. Le clivage entre les classes sociales se transforme en fossé social entre les villes et les campagnes. La forte hausse des denrées alimentaires assure à l'agriculture des revenus en hausse. Certains qualifient les paysans de « profiteurs de guerre ».

Le taux de natalité s'écroule. Le coût de la vie augmente. Les femmes socialistes s'emparent de la rue pour protester contre la faim.

La situation sociale en Suisse ne cessera de s'aggraver, aboutissant, en novembre 1918, à la « Grève générale ».

Avril 1917

Les États-Unis entrent en guerre aux côtés des Alliés (France, Angleterre, Russie). Plusieurs pays représentés diplomatiquement par Washington jusque là demandent à la Suisse de prendre le relais.

USA : rupture des relations avec l'Allemagne (1917)

Devant le Congrès, Le Président Wilson annonce la rupture des relations officielles avec l'Allemagne, le 3 février 1917. Source : Wikimedia Commons

Ce puissant soutien renforce considérablement le camp des Alliés. En Suisse, la majorité alémanique, largement favorable à l'Allemagne et à la « Triple-Alliance »., perd de son assurance.

19 juin 1917

La Suisse, investie d'une mission de paix que lui confère sa neutralité, a déjà entrepris plusieurs tentatives plus ou moins secrètes de médiation entre les alliances en guerre lorsque éclate l'affaire Grimm-Hoffmann.

La Russie est alors socialiste depuis peu lorsque le très germanophile président de la Confédération Arthur Hoffmann suggère une médiation secrète et séparée entre l'Allemagne et la Russie. Il envoie à Petrograd, future Saint-Petersbourg, le leader socialiste suisse Robert Grimm qui n'aboutit à rien. Mais, dévoilée, l'affaire suscite un tollé en Suisse romande qui accuse la médiation de favoriser l'armée allemande qui n'aurait plus qu'à se battre sur un seul front. 15'000 personnes descendent dans la rue à Genève tandis que d'autres manifestations se déroulent en Romandie et au Tessin, rappelant le Conseil fédéral à son devoir de neutralité. Les Alliés dénoncent une grave entorse à la neutralité de la Confédération et, sous la pression nationale et internationale, le président Hoffmann est contraint à la démission le 19 juin. C'est un Genevois, Gustave Ador, ouvertement partisan de la France, qui lui succède au Conseil fédéral, fédérant la minorité francophone.

1918-1919

La grippe espagnole, ou grippe de 1918, se répand en pandémie (ou épidémie mondiale). Très contagieuse et virulente, elle aurait pu faire jusqu'à 100 millions de morts selon des évaluations récentes. Elle sera aussi la principale cause de décès dans les rangs de l'armée suisse, foudroyant 1800 soldats. L'histoire s'en souviendra comme la pandémie mortelle la plus rapide de l'humanité.

11 novembre 1918

L'Allemagne capitule, la Première Guerre mondiale arrive à son terme.

Soldat américain sur les ruines d'une église à Montfaucon

Soldat américain sur les ruines d'une église à Montfaucon (1918). Source : Wikimedia Commons

Conclusion : la Première Guerre mondiale

La première Guerre Mondiale atteindra une échelle et une intensité jusqu'alors inconnues. Elle sera surnommée « La Grande Guerre », celle de tous les tristes records : dégâts matériels, nombre de pays engagés, nombre de soldats (65 millions), de victimes (9 millions), de blessés (20 millions).

Verdun en 1916

Verdun en 1916. Source : Wikimedia Commons

L'armée suisse ne tirera pas un seul coup de feu. Pourtant, 3000 hommes mourront ; 1200 d'accidents ou maladies et 1800 foudroyés par l'épidémie de grippe espagnole.

En juin 1919 prend place, à Genève, une organisation non-gouvernementale qui tient le premier registre des prisonniers de guerre de toutes nationalités. L'ONG informe leurs familles, établit des dossiers et transmet des colis aux prisonniers.

Prisonniers de guerre allemands (1917)

Prisonniers de guerre allemands en 1917. Source : Wikimedia Commons

L'Agence internationale des prisonniers de Guerre s'installe au Musée Rath où 1200 bénévoles répertorient plus de 4 millions de fiches et acheminent près de 2 millions de colis. Les noms de Genève et de la Croix Rouge rayonnent dans le monde entier, synonymes d'humanité. Et de compassion.

Mais en Suisse, le « Graben », ou « Fossé moral » comme le surnommait la presse romande entre Suisses-allemands et Suisse-romands, demeure. Pour y remédier, les autorités fédérales créent, en 1934, une « défense spirituelle de la Suisse » qui réunit les courants intellectuels les plus variés dans une réflexion autour de l'« unité nationale » de de l'identité suisse. Elle deviendra « Pro Helvetia ».

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