Le tampon J sur les passeports des juifs 1938-1945

Déportation en Pologne (1939)

Déportation en Pologne (1939). Source : Deutsches Bundesarchiv / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0 DE)

1935

En Allemagne, Hitler est au pouvoir depuis 1933. Il décrète les lois de Nuremberg et la situation devient invivable pour les juifs allemands, victimes de persécution désormais légalisées. La situation s'étend maintenant à l'Autriche que le IIIe Reich vient d'annexer.

Sur les 500'000 juifs allemands, 37'000 partent dès l'accession d'Hitler au pouvoir en 1933, suivis de quelque 200'000 par an dans les années qui suivent. Ils fuient principalement vers la Suisse, la Belgique, la Hollande, l'Angleterre, la France et les États-Unis.

En Suisse, le Conseil fédéral exprime ses craintes face à un exode massif des juifs allemands et autrichiens. De nombreux autres pays partagent mêmes appréhensions et, la crise aidant, les États freinent l'immigration.

9 avril 1938

Comme prévu, l'afflux de réfugiés autrichiens est massif aux frontières suisses. Ce sont presque exclusivement des juifs persécutés par les nazis. La Yougoslavie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et l'Italie viennent de leur fermer leur porte, la Suisse devient la dernière alternative des juifs allemands et désormais autrichiens.

Afin de réguler leur nombre et les identifier, la Suisse introduit un visa obligatoire pour tous les Autrichiens. Elle justifie cette mesure par l'encombrement du marché du travail et la surpopulation étrangère et affirme craindre que ces réfugiés ne se contentent de transiter mais cherchent à s'installer durablement dans le pays.

6-15 avril 1938

32 gouvernements d'Europe et d'Amérique se réunissent à l'invitation du président américain Franklin Roosevelt afin de chercher une solution au nombre croissant de juifs et d'autres réfugiés fuyant l'Allemagne nazie et proposer des canaux d'émigration.

La Conférence d'Évian est un échec : elle ne débouche sur aucun résultat. Pire, certains États prennent peur devant l'exposé de la gravité de la situation et durcissent même leur politique d'asile. L'Allemagne nazie mesurera sans doute, ce jour-là, le désintérêt du monde pour le sort des Juifs.

Hôtel Royal à Evian

Hôtel Royal à Evian-les-Bains. Source : Wikimedia Commons

18 août 1938

Depuis 3 mois, nouvelle vague de réfugiés en Suisse. Illégale cette fois-ci. Les autorités suisses affirment détenir des éléments prouvant que les Allemands eux-mêmes forcent les juifs à l'exil après les avoir dépouillés, allant jusqu'à organiser leur passage à travers la frontière, soit en organisant des passages clandestins, soit en intensifiant la répression pour les forcer à passer en fraude.

Le Conseil fédéral songe à introduire un visa pour les réfugiés autrichiens, mais ces derniers détiennent maintenant un passeport allemand. Il faudrait donc imposer un visa à l'ensemble des Allemands et risquer de gêner les échanges culturels, économiques et diplomatiques avec le IIIe Reich... qui imposerait à son tour un tel visa aux Suisses.

Ainsi, la Confédération décide radicalement la fermeture complète des frontières à tous les réfugiés autrichiens.

Les chefs de police des cantons frontaliers sont chargés d'appliquer cette mesure. Leur opinion est partagée. Si le délégué de Thurgovie déclare que « Berne peut décider ce qu'il veut, notre canton n'acceptera aucun réfugié », le chef de la police de Saint-Gall, le capitaine Grüniger, exclut totalement, pour des raisons humanitaires, le renvoi de réfugiés. Ils propose, au contraire, d'en « laisser entrer beaucoup ».

Octobre 1938

Dans le secret des coulisses de la diplomatie, Berne négocie avec Berlin l'apposition d'un tampon « J » sur les passeports des Allemands de confession juive. Ainsi, les services frontaliers suisses pourront facilement distinguer les individus allemands non-juifs des individus allemands juifs. Et ce sans risquer de froisser le IIIe Reich en imposant un visa.

Tampon J sur un passeport allemand

Passeport allemand avec tampon J. Source : Wikimedia Commons

31 mars 1939

Paul Grüninger, le commandant de la police cantonale de Saint-Gall, est révoqué pour avoir encouragé l'entrée illégale de réfugiés juifs en Suisse. Il est condamné en 1940 pour manquements aux devoirs de sa charge et falsification de documents.

3 septembre 1939

L'Allemagne envahit la Pologne sans déclaration de guerre préalable. C'est le début officiel de la Deuxième Guerre mondiale.

En Suisse, l'obligation d'un visa est instaurée pour tous les étrangers.

17 octobre 1939

Décret du Conseil fédéral. Les réfugiés étrangers arrivés illégalement en Suisse doivent être refoulés dans leur pays d'origine, à l'exception des déserteurs et des réfugiés politiques ; les réfugiés juifs ne sont alors pas considérés comme des réfugiés politiques.

1942-1945

À Budapest, le vice-consul de Suisse Carl Lutz délivre secrètement des visas à des dizaines de milliers de juifs hongrois. Berne lui infligera une note négative pour transgression des règlements.

Mai 1942

Des photos de juifs asphyxiés dans des wagons à bestiaux parviennent secrètement au Conseil fédéral par voie diplomatique. Elles sont immédiatement censurées.

12 août 1942

Le journal officiel du Parti socialiste suisse dénonce la rafle du « Vel' d'Hiv ». Il est censuré.

13 août 1942

On entend de plus en plus parler de persécutions, de déportations et de camps de la mort mais, en Suisse, Heinrich Rothmund, chef de la Division de police, émet une circulaire qui ordonne aux cantons de refuser le statut de réfugié politique aux personnes fuyant les persécutions raciales et de les refouler à la frontière. Et ce même si les autorités suisses affirmeront que « il peut en résulter pour eux des inconvénients sérieux ».

La France occupée

Les zones francaises occupées pendant la Seconde Guerre mondiale. Source : Eric Gaba / Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

La Suisse encerclée par l'Axe en juin 1940

La Suisse est encerclée à 95% par l'Axe en juin 1940. Source : Historicair / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

11 novembre 1942

Occupation de la « zone libre » (Sud de la France) par la Wehrmacht ; l'ensemble de la France est alors sous domination allemande. Les tentatives d'entrées en Suisse, îlot indépendant au coeur de l'Europe nazie, se multiplient.

Nombre de Suisses participent ou coordonnent l'entrée et l'accueil illégaux de réfugiés juifs :

Anne-Marie Piguet et son père organisent une filière d'exil d'enfants juifs des Pyrénées françaises jusqu'au Jura.

Dans la Vallée de Joux, les soeurs Marinette et Germaine Savary accueillent, logent et nourrissent des enfants juifs entrés clandestinement en Suisse.

Dans le Jura, Marthe Boillat et Antoinette Theubert accueillent discrètement des réfugiés juifs et participent à une filière de sauvetage.

Ce ne sont ici que quelques exemples parmi beaucoup, beaucoup d'autres initiatives personnelles tout aussi remarquables.

Juillet 1944

Débarquement allié en Normandie. La Wehrmacht est repoussée aux frontières, la chute du IIIe Reich devient inexorable.

En Suisse, la Division de police révoque ses directives et reconnaît aux Juifs le statut de réfugiés politiques.

Omaha Beach, 6 juin 1944

Débarquement des troupes de la 1ere division d'infanterie américaine, dans la matinée du 6 juin 1944 à Omaha Beach. Source : Wikimedia Commons

Lois de Nüremberg

Établies par Adolf Hitler peu après son accession au pouvoir en Allemagne, les lois de Nüremberg constituent le bras législatif du fondement de l'idéologie antisémite du IIIe Reich. Elles établissent, entre autres, une séparation matérielle et « biologique » entre les Juifs et les Aryens, considérés comme les seuls « vrais » allemands.

Initialement appliquées en Allemagne, les lois de Nuremberg seront successivement étendues à tous les pays que l'Allemagne annexera durant la Deuxième Guerre mondiale, poussant sur les routes et aux portes de la Suisse des milliers de réfugiés juifs fuyant la répression nazie.

Conclusion : Le tampon J

A la fin de la guerre, en 1945, la découverte de la réalité de l'extermination des juifs provoque un malaise en Suisse. La population sera informée de la véritable histoire du « Tampon J » bien après la Deuxième Guerre mondiale. En 1954, l'historien Carl Ludwig rédige un rapport sur le sujet, publié en 1957, qui révèle l'existence de négociations entre l'Allemagne et la Suisse sur le fameux « J ». L'opinion publique est... désagréablement surprise.

Auschwitz-Birkenau, janvier 1945

Prisonniers au cours de la libération d'Auschwitz-Birkenau en janvier 1945. Source : Auschwitz Memorial / Wikimedia Commons (CC BY 3.0)

En 1971, Paul Grüniger, ancien commandant de la police cantonale de Saint-Gall sanctionné pour avoir refusé d'appliquer les mesures fédérales de refoulement des réfugiés juifs, est honoré par la fondation juive Yad Vashem pour avoir sauvé... plus de 2000 Juifs.

Dans les années 1990, la publication du rapport d'historiens dit « Bergier », très critique vis-à-vis des agissements de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale, soulève un vif débat en Suisse.

En 1991, le vice-consul de Suisse à Budapest Carl Lutz est honoré pour avoir délivré illégalement des dizaines de milliers de visas à des Juifs hongrois, ce qui lui valut une mauvaise notation des autorités fédérales.

En 1995, vingt-trois ans après sa mort, Paul Grüninger, ancien commandant de la police cantonale, est réhabilité par son canton, Saint-Gall.

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